L’uvéite représente un groupe complexe d’affections inflammatoires oculaires qui touchent l’uvée, la couche vasculaire de l’œil comprenant l’iris, le corps ciliaire et la choroïde. Cette pathologie, responsable de 10 à 15% des cas de cécité dans les pays développés, constitue une urgence ophtalmologique nécessitant une prise en charge spécialisée immédiate. Avec une prévalence estimée à 115 cas pour 100 000 habitants en Amérique du Nord et 28 cas pour 100 000 enfants par an en France, l’uvéite peut survenir à tout âge, mais affecte particulièrement les jeunes adultes et les patients d’âge moyen. La diversité des formes cliniques et des étiologies sous-jacentes rend cette affection particulièrement complexe à diagnostiquer et à traiter, nécessitant souvent une collaboration étroite entre ophtalmologistes et médecins internistes pour identifier les causes systémiques potentielles.
Physiopathologie de l’uvéite : mécanismes inflammatoires et classification anatomique
La compréhension des mécanismes physiopathologiques de l’uvéite repose sur l’analyse de la réponse inflammatoire au sein des structures uvéales. L’uvée, véritable système vasculaire de l’œil, constitue une zone privilégiée sur le plan immunologique, où la rupture de cette tolérance immunitaire déclenche des cascades inflammatoires complexes. Les cellules inflammatoires, principalement les lymphocytes T, les macrophages et les polynucléaires neutrophiles, migrent vers les tissus oculaires et libèrent des médiateurs pro-inflammatoires tels que les cytokines, les prostaglandines et les leucotriènes.
Cette réaction inflammatoire peut être déclenchée par des antigènes exogènes lors d’infections, par des mécanismes auto-immuns dirigés contre des antigènes rétiniens, ou par des phénomènes de mimétisme moléculaire. La barrière hémato-rétinienne, normalement imperméable, devient perméable sous l’effet de l’inflammation, permettant le passage de protéines plasmatiques et de cellules inflammatoires dans les milieux oculaires. Cette perméabilité accrue se traduit cliniquement par l’effet Tyndall en chambre antérieure et par la formation de précipités kératiques.
Inflammation de l’uvée antérieure : iritis et iridocyclite
L’uvéite antérieure, forme la plus fréquente représentant environ 75% des cas, se caractérise par une inflammation touchant l’iris et parfois le corps ciliaire. Cette localisation anatomique explique la symptomatologie typique associant douleurs oculaires intenses, photophobie marquée et rougeur périkératique. L’accumulation de cellules inflammatoires en chambre antérieure crée un effet Tyndall visible à l’examen à la lampe à fente, comparable aux particules de poussière dans un rayon de soleil.
Les précipités kératiques, agrégats de cellules inflammatoires déposés sur la face postérieure de la cornée, constituent un signe pathognomonique de l’uvéite antérieure. Leur aspect varie selon l’étiologie : fins et granulaires dans les formes aiguës, gros et « en graisse de mouton » dans les uvéites granulomateuses. La formation de synéchies irido-cristalliniennes, adhérences entre l’iris et le cristallin, représente une complication précoce pouvant entraîner une déformation pupillaire et une hypertonie oculaire par obstruction de l’angle irido-cornéen.
Uvéite intermédiaire : pars planite et vitrite chronique
L’uvéite intermédiaire affecte principalement la pars plana du corps ciliaire et le vitré postérieur, créant une inflammation chronique souvent asymptomatique dans ses phases initiales. Cette forme particulière se manifeste essentiellement par des myodésopsies ou corps flottants, perçus par le patient comme des filaments ou des taches mobiles dans son champ visuel. L’absence de douleur et de rougeur oculaire retarde souvent le diagnostic, favorisant l’évolution vers des complications chroniques.
La vitrite, inflammation du corps vitré, se caractérise par une opacification progressive de ce milieu transparent, entraînant une baisse d’acuité visuelle insidieuse. L’accumulation d’exsudats inflammatoires en périphérie rétinienne inférieure forme des « banquises de neige » (snowbanks), aspect pathognomonique visible au fond d’œil. L’œdème maculaire cystoïde représente la complication la plus fréquente de l’uvéite intermédiaire, responsable d’une altération significative de la vision centrale.
Uvéite postérieure : choroïdite et rétinite inflammatoire
L’uvéite postérieure touche la choroïde, la rétine et parfois le nerf optique, constituant la forme la plus grave en termes de pronostic visuel. Cette localisation anatomique explique la symptomatologie dominée par les troubles visuels : baisse d’acuité visuelle, scotomes, métamorphopsies et photopsies. L’inflammation choroïdienne se traduit par des foyers blanchâtres profonds visibles au fond d’œil, souvent associés à un décollement séreux rétinien localisé.
La choriorétinite associe une atteinte choroïdienne et rétinienne, créant des lésions complexes dont l’évolution cicatricielle détermine le pronostic fonctionnel. Les vascularites rétiniennes, fréquemment associées, se manifestent par des gaines périvasculaires et des hémorragies rétiniennes, visibles à l’angiographie fluorescéinique. La papillite, inflammation du disque optique, peut compliquer l’évolution et nécessite une surveillance particulière du champ visuel.
Panuvéite : inflammation diffuse de l’ensemble du tractus uvéal
La panuvéite représente l’atteinte simultanée des segments antérieur, intermédiaire et postérieur de l’uvée, constituant la forme la plus sévère d’uvéite. Cette inflammation diffuse résulte soit d’une extension progressive d’une uvéite localisée, soit d’emblée d’une atteinte généralisée dans le cadre de certaines pathologies systémiques. La symptomatologie cumule les manifestations des différentes formes d’uvéite : douleurs, photophobie, myodésopsies et baisse visuelle majeure.
Le risque de complications est maximal dans cette forme, nécessitant une prise en charge thérapeutique agressive et un suivi rapproché. L’hypertonie oculaire, la cataracte inflammatoire, l’œdème maculaire et le décollement de rétine peuvent survenir simultanément, compromettant gravement le pronostic visuel. La panuvéite s’observe particulièrement dans la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada, la maladie de Behçet et certaines infections systémiques comme la syphilis ou la tuberculose.
Étiologies infectieuses et parasitaires de l’uvéite
Les uvéites infectieuses représentent environ 15 à 20% de l’ensemble des uvéites, avec une prédominance des étiologies virales et parasitaires dans nos régions tempérées. Ces formes nécessitent un diagnostic étiologique précis car elles relèvent de traitements anti-infectieux spécifiques, souvent associés aux anti-inflammatoires pour contrôler la réaction immunitaire. L’identification de l’agent pathogène repose sur des examens complémentaires ciblés : sérologies, PCR sur prélèvements oculaires, cultures microbiologiques et parfois biopsies choriorétiniennes.
La gravité potentielle de ces infections justifie une prise en charge urgente, car le retard thérapeutique peut entraîner des destructions tissulaires irréversibles. Paradoxalement, l’inflammation observée résulte autant de la réplication microbienne que de la réponse immunitaire de l’hôte, expliquant pourquoi l’association anti-infectieux et anti-inflammatoires constitue souvent la stratégie thérapeutique optimale. Cette approche nécessite une surveillance étroite pour adapter les posologies et éviter l’aggravation de l’infection sous corticothérapie.
Toxoplasmose oculaire : choriorétinite à toxoplasma gondii
La toxoplasmose oculaire constitue la cause la plus fréquente d’uvéite postérieure infectieuse dans les pays tempérés, affectant 0,3 à 1% de la population générale. Toxoplasma gondii, parasite intracellulaire obligatoire, reste encysté de façon latente dans les tissus rétiniens après la primo-infection, généralement asymptomatique survenue dans l’enfance. Les réactivations se manifestent par des foyers de choriorétinite active, typiquement situés en bordure d’anciennes cicatrices pigmentées, créant l’aspect caractéristique de « phare dans le brouillard » par l’inflammation vitréenne associée.
Le diagnostic repose sur l’aspect ophtalmoscopique typique associé à la sérologie toxoplasmique montrant des IgG positives témoignant d’une infection ancienne. La PCR vitréenne peut confirmer la réactivation en cas de doute diagnostique. Le traitement associe habituellement sulfadiazine, pyriméthamine et acide folinique pendant 6 à 8 semaines, avec une corticothérapie adjuvante pour limiter l’inflammation. Les récidives touchent environ 10% des patients par an, justifiant une surveillance ophtalmologique régulière à vie.
Uvéites virales : HSV, VZV et cytomégalovirus
Les virus de la famille Herpesviridae représentent les agents infectieux les plus fréquemment responsables d’uvéites antérieures aiguës et récidivantes. L’herpès simplex virus (HSV) et le virus varicelle-zona (VZV) provoquent des uvéites antérieures hypertensives caractérisées par une élévation majeure de la pression intraoculaire, des précipités kératiques et parfois une kératite dendritique associée. Ces formes se distinguent par leur caractère unilatéral, récidivant et leur résistance relative aux corticoïdes seuls.
Le cytomégalovirus (CMV) émerge comme une cause reconnue d’uvéite antérieure chronique, particulièrement chez les sujets immunocompétents d’origine asiatique. Cette entité, longtemps méconnue, se caractérise par des précipités kératiques en « nummulaires », une hypertonie oculaire et des dépôts endothéliaux cornéens. Le diagnostic différentiel avec le syndrome de Posner-Schlossman peut être difficile, nécessitant parfois une PCR de l’humeur aqueuse pour confirmation. Le traitement antiviral par ganciclovir local ou valganciclovir systémique s’avère efficace sur ces formes résistantes aux traitements conventionnels.
Tuberculose oculaire : manifestations choroïdiennes et granulomateuses
La tuberculose oculaire, bien que rare dans nos régions, connaît une résurgence liée aux phénomènes migratoires et à l’immunodépression croissante. Mycobacterium tuberculosis peut atteindre l’œil par dissémination hématogène, créant des foyers choroïdiens granulomateux ou des uvéites antérieures chroniques granulomateuses. Les manifestations oculaires peuvent précéder les signes systémiques, rendant le diagnostic particulièrement difficile en l’absence de contexte évocateur.
Le tableau clinique associe souvent des nodules iriens, des précipités kératiques « en graisse de mouton » et des tuberculomes choroïdiens visibles au fond d’œil. L’intradermoréaction à la tuberculine, l’Interferon Gamma Release Assay (IGRA) et l’imagerie thoracique orientent le diagnostic, confirmé par l’amélioration sous traitement antituberculeux d’épreuve. La prise en charge nécessite une quadrithérapie antituberculeuse pendant au moins 9 mois, associée à une corticothérapie initiale pour limiter les réactions inflammatoires paradoxales.
Syphilis oculaire : uvéite syphilitique et neurosyphilis
La syphilis oculaire, manifestation de la neurosyphilis, peut survenir à tout stade de l’infection par Treponema pallidum et constitue une urgence thérapeutique. Cette forme d’uvéite peut toucher tous les segments oculaires, créant un polymorphisme clinique majeur : uvéite antérieure granulomateuse, vitrite, choriorétinite, vascularite rétinienne et neuropathie optique. La syphilis oculaire peut révéler l’infection ou survenir des années après la contamination, même chez des patients traités pour une syphilis primaire ou secondaire.
Le diagnostic repose sur la sérologie syphilitique (VDRL, TPHA) et l’analyse du liquide céphalorachidien confirmant l’atteinte neurologique. L’aspect ophtalmologique n’étant pas pathognomonique, un index de suspicion élevé est nécessaire devant toute uvéite atypique ou résistante au traitement conventionnel. Le traitement par pénicilline G intraveineuse pendant 10 à 14 jours permet une guérison complète si instauré précocement, soulignant l’importance du diagnostic rapide pour préserver la fonction visuelle.
Uvéites auto-immunes et maladies systémiques associées
Les uvéites auto-immunes représentent la majorité des uvéites non infectieuses, résultant de mécanismes immunologiques complexes dirigés contre des antigènes rétiniens ou uvéaux. Ces formes s’intègrent souvent dans le cadre de maladies systémiques auto-immunes, nécessitant une approche pluridisciplinaire associant ophtalmologistes et internistes. L’identification de ces pathologies sous-jacentes modifie radicalement la prise en charge thérapeutique, orientant vers des traitements immunosuppresseurs systémiques plutôt que locaux.
La prévalence de ces associations varie selon les études, mais on estime qu’environ 30 à 40% des uvéites s’intègrent dans le cadre d’une maladie systémique. Cette proportion justifie la réalisation systématique d’un bilan étiologique approfondi devant toute uvéite, particulièrement en cas d’atteinte bilatérale, chronique ou réc
ividivante, ou compliquée. Le typage HLA-B27 s’avère particulièrement utile dans ce contexte, étant positif chez 90% des patients atteints de spondylarthrite ankylosante avec uvéite antérieure aiguë. Cette association génétique illustre parfaitement les mécanismes auto-immuns sous-jacents, où le mimétisme moléculaire entre antigènes bactériens et antigènes propres déclenche une réponse immunitaire croisée.
Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada : syndrome uvéoméningé
La maladie de Vogt-Koyanagi-Harada (VKH) constitue un syndrome auto-immun multisystémique caractérisé par une réaction dirigée contre les mélanocytes. Cette pathologie affecte principalement les sujets d’origine asiatique, hispanique ou amérindienne, avec une prédominance féminine marquée. L’atteinte oculaire, constante et bilatérale, se manifeste par une panuvéite granulomateuse sévère accompagnée de décollements séreux rétiniens multiples. La phase aiguë associe des signes neurologiques (méningite aseptique, céphalées), auditifs (acouphènes, hypoacousie) et cutanés tardifs (vitiligo, poliose, alopécie).
Le diagnostic repose sur les critères de classification internationaux combinant l’atteinte oculaire bilatérale, l’absence d’antécédent de traumatisme ou de chirurgie oculaire, et la présence de signes extraoculaires. La ponction lombaire révèle une pléocytose lymphocytaire aseptique dans 80% des cas durant la phase aiguë. L’angiographie fluorescéinique montre des points de fuite choroïdiens multiples créant un aspect en « feu d’artifice » pathognomonique. Le traitement repose sur une corticothérapie systémique massive (1 à 2 mg/kg/jour de prednisone) pendant plusieurs semaines, souvent relayée par des immunosuppresseurs pour prévenir les récidives et la phase chronique cicatricielle.
Maladie de behçet : uvéite récidivante et vascularite rétinienne
La maladie de Behçet représente une vascularite systémique chronique particulièrement fréquente dans les régions de l’ancienne route de la soie, affectant principalement les adultes jeunes. L’atteinte oculaire, présente chez 50 à 70% des patients, constitue souvent le mode de révélation de la maladie et détermine largement le pronostic fonctionnel. Elle se caractérise par une uvéite postérieure récidivante avec vascularite rétinienne occlusive, créant des ischémies rétiniennes étendues et des néovascularisations secondaires. Les poussées inflammatoires, imprévisibles et bilatérales, peuvent entraîner une cécité rapide en l’absence de traitement adapté.
Le diagnostic clinique repose sur les critères de classification internationaux : aphtes buccaux récidivants (obligatoires), ulcérations génitales, lésions cutanées, uvéite et test pathergique positif. L’angiographie révèle des occlusions capillaires étendues, des dilatations veineuses et des néovascularisations prérétiniennes. La prise en charge thérapeutique nécessite une immunosuppression systémique agressive : azathioprine, ciclosporine ou anti-TNFα (adalimumab, infliximab) selon la sévérité. Les anti-TNFα ont révolutionné le pronostic de cette affection autrefois redoutable, permettant une prévention efficace des récidives et une stabilisation de la fonction visuelle.
Sarcoïdose oculaire : granulomes choroïdiens et nodules iris
La sarcoïdose, maladie granulomateuse systémique d’étiologie inconnue, s’accompagne d’une atteinte oculaire dans 25 à 60% des cas selon les séries. Cette atteinte peut révéler la maladie ou survenir au cours de son évolution, nécessitant une surveillance ophtalmologique régulière chez tous les patients sarcoïdosiques. L’uvéite sarcoïdosique se caractérise par son aspect granulomateux avec de gros précipités kératiques « en graisse de mouton », des nodules iriens (nodules de Berlin) et des granulomes choroïdiens visibles au fond d’œil. L’atteinte peut toucher tous les segments oculaires, créant un polymorphisme clinique important.
Les manifestations extraoculaires orientent le diagnostic : adénopathies hilaires bilatérales, atteinte pulmonaire, cutanée, articulaire ou cardiaque. Le dosage de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA) et du lysozyme peuvent être élevés, mais restent peu spécifiques. La biopsie des glandes salivaires accessoires ou d’une localisation extraoculaire confirme le diagnostic histologique. Le traitement fait appel aux corticoïdes locaux ou systémiques selon l’étendue de l’atteinte, parfois associés au méthotrexate dans les formes réfractaires. L’évolution est généralement favorable sous traitement, mais des récidives sont possibles nécessitant une surveillance prolongée.
Syndrome de Posner-Schlossman : crises glaucomato-cyclitiques
Le syndrome de Posner-Schlossman, également appelé crise glaucomato-cyclitique, constitue une entité clinique particulière caractérisée par des épisodes récurrents d’hypertonie oculaire majeure associée à une uvéite antérieure modérée. Cette affection touche préférentiellement les adultes jeunes de sexe masculin, avec un caractère strictement unilatéral et récidivant. Les crises se manifestent par une élévation brutale de la pression intraoculaire pouvant dépasser 50 mmHg, associée à des précipités kératiques fins et à un œdème cornéen aigu, mais paradoxalement avec peu de signes inflammatoires.
La physiopathologie reste débattue, impliquant probablement des mécanismes auto-immuns et une prédisposition génétique particulière. Des associations avec certains virus (CMV, EBV) ont été rapportées, suggérant un déclenchement infectieux chez des sujets prédisposés. Le diagnostic différentiel avec un glaucome aigu par fermeture de l’angle est essentiel, reposant sur l’aspect de l’angle iridocornéen ouvert et la présence de signes inflammatoires. Le traitement associe hypotenseurs oculaires en urgence et corticoïdes locaux modérés. L’évolution est favorable entre les crises, mais la récidive est la règle, justifiant une surveillance à long terme du tonus oculaire.
Arthrite juvénile idiopathique : iridocyclite chronique antérieure
L’arthrite juvénile idiopathique (AJI) représente la cause la plus fréquente d’uvéite chronique chez l’enfant, avec un risque particulièrement élevé chez les fillettes de moins de 6 ans atteintes de la forme oligoarticulaire et porteuses d’anticorps antinucléaires positifs. Cette association, présente chez 15 à 20% des patients AJI, constitue une complication redoutable car l’uvéite évolue de façon totalement asymptomatique, retardant le diagnostic et favorisant les complications. L’iridocyclite chronique antérieure se caractérise par des précipités kératiques, une inflammation modérée mais persistante, et une tendance marquée aux synéchies irido-cristalliniennes.
Le dépistage systématique par examens ophtalmologiques réguliers constitue la pierre angulaire de la prise en charge, avec une fréquence adaptée au niveau de risque : tous les 3 mois chez les patientes à haut risque pendant les 4 premières années. Les complications sont fréquentes et sévères : cataracte, glaucome secondaire, dégénérescence cornéenne en bandelette et phtyse du globe dans les cas extrêmes. Le traitement repose sur les corticoïdes locaux prolongés, souvent associés au méthotrexate systémique dans les formes réfractaires. Les anti-TNFα (adalimumab) représentent une option thérapeutique prometteuse pour les formes sévères résistantes aux traitements conventionnels.
Manifestations cliniques et séméiologie ophtalmologique
La présentation clinique de l’uvéite varie considérablement selon la localisation anatomique, l’étiologie sous-jacente et la chronocité de l’inflammation. Cette diversité séméiologique explique parfois les retards diagnostiques, particulièrement dans les formes peu symptomatiques ou atypiques. L’interrogatoire constitue un élément fondamental, recherchant les antécédents personnels et familiaux, les signes généraux associés, les prises médicamenteuses et les facteurs déclenchants potentiels. L’examen ophtalmologique complet doit être bilatéral et comparatif, même en cas d’atteinte apparemment unilatérale.
Les signes fonctionnels varient selon le segment atteint. L’uvéite antérieure provoque des douleurs profondes lancinantes, majorées par les mouvements oculaires et persistant la nuit, associées à une photophobie intense et un larmoiement. La baisse d’acuité visuelle peut résulter de l’inflammation, de l’œdème cornéen ou de la formation de synéchies. L’uvéite postérieure se manifeste principalement par des troubles visuels : baisse d’acuité visuelle, scotomes, métamorphopsies et myodésopsies. Les photopsies, éclairs lumineux perçus en vision périphérique, peuvent signaler une atteinte vitréorétinienne ou une traction vitréenne.
L’examen à la lampe à fente révèle les signes pathognomoniques de l’inflammation oculaire. L’hyperhémie conjonctivale et ciliaire crée une rougeur oculaire diffuse, plus marquée au limbe dans l’uvéite antérieure. L’effet Tyndall en chambre antérieure, visible par l’illumination oblique du microscope, révèle la présence de protéines et de cellules inflammatoires en suspension. La cotation de cet effet Tyndall selon la classification SUN (Standardization of Uveitis Nomenclature) permet d’évaluer quantitativement l’intensité de l’inflammation et de suivre l’efficacité thérapeutique. Les précipités kératiques, dépôts cellulaires sur la face postérieure de la cornée, varient en taille et en distribution selon l’étiologie et orientent le diagnostic différentiel.
Examens paracliniques et techniques diagnostiques
L’approche diagnostique de l’uvéite nécessite une stratégie d’examens complémentaires adaptée au tableau clinique et aux hypothèses étiologiques. L’angiographie à la fluorescéine demeure l’examen de référence pour l’évaluation de l’uvéite postérieure, révélant les anomalies de perfusion rétinienne, les points de fuite choroïdiens et les signes de vascularite. Cette technique invasive permet une cartographie précise des lésions inflammatoires et guide les décisions thérapeutiques. L’angiographie au vert d’indocyanine apporte des informations complémentaires sur la circulation choroïdienne, particulièrement utile dans les uvéites postérieures granulomateuses.
La tomographie par cohérence optique (OCT) s’est imposée comme un outil diagnostique et de suivi incontournable, permettant une analyse morphologique fine des structures rétiniennes. L’OCT quantifie l’épaisseur maculaire centrale, détecte l’œdème maculaire cystoïde subclinique et surveille l’évolution sous traitement. Les nouveaux appareils d’OCT en domaine spectral offrent une résolution axiale inférieure à 5 microns, révélant des détails anatomiques imperceptibles à l’ophtalmoscopie. L’OCT-angiographie, technique émergente non invasive, visualise la microcirculation rétinienne et choroïdienne sans injection de colorant, ouvrant de nouvelles perspectives diagnostiques.
Le bilan biologique étiologique doit être adapté au contexte clinique pour éviter les examens inutiles tout en ne méconnaissant aucune cause curable. La numération formule sanguine, la vitesse de sédimentation et la protéine C-réactive constituent le bilan inflammatoire de base. La recherche d’anticorps antinucléaires (AAN) s’impose chez l’enfant suspect d’AJI, tandis que le typage HLA-B27 oriente vers une spondylarthrite chez l’adulte jeune avec uvéite antérieure aiguë. Les sérologies infectieuses (toxoplasmose, syphilis, tuberculose) sont guidées par la présentation clinique et les facteurs de risque.
Les examens d’imagerie complètent le bilan étiologique selon l’orientation diagnostique. La radiographie pulmonaire recherche des adénopathies hilaires évocatrices de sarcoïdose, tandis que le scanner thoracique haute résolution détecte les lésions parenchymateuses infracliniques. L’IRM cérébrale s’impose en cas de suspicion de neurosyphilis ou de maladie de Vogt-Koyanagi-Harada. Dans certains cas complexes, l’analyse de l’humeur aqueuse ou vitréenne par ponction peut apporter des informations diagnostiques cruciales : PCR pathogène-spécifique, dosage des immunoglobulines intraoculaires ou recherche de cellules malignes.
Stratégies thérapeutiques et protocoles de traitement
La prise en charge thérapeutique de l’uvéite repose sur une approche multimodale combinant traitement anti-inflammatoire, traitement étiologique spécifique et prévention des complications. L’objectif primordial consiste à contrôler rapidement l’inflammation pour préserver la fonction visuelle tout en identifiant et traitant la cause sous-jacente. Cette stratégie nécessite une collaboration étroite entre ophtalmologistes et internistes, particulièrement dans les uvéites associées à des maladies systémiques nécessitant un traitement immunosuppresseur au long cours.
Les corticoïdes constituent le traitement anti-inflammatoire de première intention, avec différentes voies d’administration selon la localisation et la sévérité de l’uvéite. La voie topique (collyres) reste privilégiée pour les uvéites antérieures, avec une posologie initiale intensive (1 goutte/heure) puis dégressif selon l’évolution clinique. Les injections péri- ou intravitréennes permettent d’obtenir des concentrations locales élevées tout en limit